J’aurais aimé vous proposer un combat au corps-à-corps afin de compléter ce scénario de découverte en observant comment fonctionnent les mêlées, mais rien n’était écrit d’avance et les dés en ont décidé autrement ! A ce stade de la partie, et bien qu’il reste un tour aux américains, ces derniers ont subi beaucoup trop de pertes pour espérer encore l’emporter. Quand bien même ils parviendraient à traverser la rue sous le feu ennemi, quand bien même ils résisteraient aux tirs défensifs à bout portant, quand bien même ils réussiraient à pénétrer dans un des bâtiments servant d’objectif et tenus par les allemands, et pourquoi pas même à le reprendre, remporter deux mêlées successives avec des troupes aussi exsangues relèvent de la gageure. Au regard de ces éléments et ne voyant pas la possibilité de renverser la situation, il paraît logique que le joueur américain concède la partie (bien évidemment, on pourrait toujours tenter le coup du "sur un malentendu, ça peut marcher !", mais ce scénario étant aussi une histoire que j’ai pris plaisir à (me) raconter, je n’imagine pas humainement les gars de la 101st après un tel carnage recommencer un assaut qui a toutes les chances d’être une nouvelle boucherie).
A contrecoeur, le Sergent O’Brien fit signe à ses hommes de se replier ; les uns après les autres, les "aigles" qui avaient survécu décrochèrent, les derniers à partir couvrant la retraite de leurs camarades. Les tirs se firent plus sporadiques et alors qu’il atteignait les premiers champs de blé à bonne distance de Vierville, le sous-officier se retourna pour observer une dernière fois le petit bourg ; d’ici, il ressemblait à un paisible village niché au coeur d’une campagne verdoyante. Mais dans sa mémoire, il resterait comme "the bloody cottage" en souvenir des nombreux camarades qu’il avait perdu ce jour là.Et quelques mots pour conclure...
Sur le scénarioPour une première approche d’
ASL SK, et sans préjuger de la qualité des autres scénarios contenus dans cette première boîte, on n’est pas loin de la perfection. Bien que très facile d’accès (on se concentre sur l’infanterie "basique" -entendre par là sans "Support Weapon"-, autour de seulement quatre types de terrain), il offre une situation très riche dans laquelle les deux camps doivent tout à la fois attaquer et défendre, la balance oscillant avec incertitude d’un côté ou de l’autre au gré des évènements.
Il permet également aux joueurs, tant allemand qu’américain, de prendre en main de très belles unités avec un classique de la bataille de Normandie ; 101st Airborne contre Fallschirmjägers.
Je le rejouerai avec grand plaisir et l’utiliserai sans hésiter pour initier un néophyte à ce superbe système. Ce qui me permet d’enchainer...
Sur le systèmeA l’issue de cette première expérience, il convient de rester humble ; ce n’est qu’un "petit" scénario d’introduction, bien loin de révéler toute la richesse du mythique
ASL. Mais je vais être franc ; cette mise en bouche m’a filé une sacrée claque !
Je me dois aujourd’hui de faire un mea maxima culpa. Advanced Squad Leader, un jeu daté comme je l’ai trop souvent affirmé ? Mais bordel ; pas le moins du monde ! Malgré ses 35 ans d’existence, ce système est bourré de bonnes idées qui n’ont en rien à pâlir devant des jeux plus récents et, soi-disant, plus innovants. Sur ce que j’ai vu, ce jeu a en fait tout pour lui ! Lorsque je le compare à d’autres "tacticals" que j’ai pu voir ou essayer, c’est comme s’il réunissait toutes les bonnes idées que j’ai vu à droite à gauche pour offrir une expérience totale de combat tactique (même si dans les faits, ce serait plutôt l’inverse ; chaque jeu tactique plus moderne a "déshabillé" l’ancien en articulant sa mécanique autour d’un ou deux concepts piqué(s) à ASL).
Je le redis, mais j’ai pris une claque ! Je ne m'attendais pas à ça !
J’ai également été soufflé par le nombre et l’importance des choix à faire, que l’on soit l’Attaquant ou le Défenseur. Comme dans un véritable combat (ou, à défaut, dans un bon film de guerre), j’ai ressenti une véritable intensité tout du long de la partie, avec une tension dramatique à chaque instant. A dire vrai, la mécanique, qui peut paraître lourde à la lecture, s’est complétement effacée devant l’immersion (même si je reconnais que mon imaginaire façonné par des années de jeux de rôle a une grande facilité à se projeter). La scène de combat prend véritablement vie sous nos yeux et l’on cherche parmi toutes les options à notre disposition celles qui permettront de mener notre mission à bien en économisant nos hommes.
Vraiment, c’est assez incroyable... et, je l’avoue, assez insoupçonnable à la simple lecture des règles !
Sur le seul volet du combat d’infanterie, j’ai trouvé le rendu excellent, et je vais essayer d’expliciter pourquoi. Peu de temps avant de me lancer et sans qu’il y ait de lien de causalité, j’ai regardé et écouté deux interventions d’officiers de l’armée française que j’ai trouvé passionnantes.
La première est une conférence de Michel Goya, ancien Colonel des troupes de Marine et analyste militaire ;
Le soldat dans les conflits des XX et XXIème siècle. Dans son propos, il revient sur l’importance de l’aspect psychologique lors d’un engagement armé ; l’effraction du psychisme lorsque l’on est confronté à la mort, les comportements "illogiques" alors que l’on est soumis à la tension du feu, le sentiment d’impuissance ou au contraire d’invulnérabilité qui peut naître dans l’action, et bien d’autres facteurs humains que l’on ne peut totalement maîtriser lors d’une mission de combat, même avec des soldats entraînés (la conférence est bourrée d’anecdotes qui illustrent ses dires et je ne peux que chaudement vous la recommander !).
La deuxième est un podcast avec le Colonel Pierre Santoni, auteur de L’Ultime Champ de Bataille consacré au combat urbain ;
La guerre en ville, ultime champ de bataille. Même si cette intervention est plus centrée sur les particularités des batailles en milieu urbain, Pierre Santoni y insiste sur l’encadrement des troupes au combat, et notamment le rôle essentiel des "petits gradés" (terme qui n’a rien de péjoratif ici, bien au contraire !), c’est-à-dire ceux qui mènent un groupe de combat et qui, coupés de leur hiérarchie par les conditions du champ de bataille, vont devoir décider et mobiliser leurs hommes "dans le feu de l’action".
Or, ces deux éléments mis en avant par ces officiers d’expérience, eh bien je les ai retrouvé dans la mécanique d’
ASL ; d’où, de mon point de vue, un rendu très crédible d’une action de combat de courte durée et une rare intensité durant la partie. On croise véritablement les doigts pour qu’un squad tienne encore "une poignée de secondes" à un endroit clef, on est agréablement surpris de la résilience d’un autre groupe que l’on imaginait se faire mettre en déroute par un ennemi à la puissance de feu supérieure, ou au contraire terriblement déçu quand ses "troupes de choc" sur lesquelles reposaient notre assaut s’écroulent au premier coup dur.
Bien évidemment, ces faits de guerre reposent uniquement sur les dés et l’on pourra toujours pester d’un jet de moral trop haut sur une belle unité à un moment crucial de la partie. Mais dans la représentation de la bataille, dans sa mise en scène, je trouve cela particulièrement "réaliste" (notez les guillemets, je préfère le terme "crédible" mais je l’ai déjà, je crois, trop employé !). ASL a la réputation d’être un jeu où le joueur à un fort contrôle sur ses troupes ; personnellement, je ne le trouve pas au regard justement de cette prépondérance du facteur "moral" tout au long de l’action. Oui, ils monteront à l’assaut lorsque nous le décideront, mais ensuite il n’y a plus aucune garantie ! Des nombreux jets de moral jusqu’au squad qui "cower" au mauvais moment, tout peut arriver. A ce sujet, Michel Goya dans sa conférence explique qu’au combat, il en est de même que dans les films ; il y a les premiers rôles qui vont agir efficacement et au-delà de leurs prérogatives, les seconds rôles qui vont faire ce qu’on leur demande, et les figurants qui vont se contenter d’être là.
Je trouve que c’est excellemment bien mécanisé dans ce jeu, et cela permet d’imaginer sans peine "les jets de dés" derrière l’action de Richard D. Winters au matin du 6 juin lors de l’assaut du manoir de Brécourt, ou encore l’incroyable résistance de l’îlot Lioudnikov lors de la bataille de Stalingrad.
Bon, je crois avoir suffisamment passé la brosse à reluire, vous avez compris sans mal que j’étais totalement séduit par l’expérience. Evoquons néanmoins quelques points qui "fâchent" !
Esthétiquement, les jeux plus récents sont plus jolis, on ne va pas se mentir ! C’est toutefois à relativiser puisque d’une part, une fois en jeu, on en fait facilement abstraction pour ne plus voir des pions mais bel et bien des hommes qui luttent sur les champs de bataille de la seconde guerre mondiale, et d’autre part, des éditeurs tiers sortent des produits qui se démarquent de la charte officielle et qui sont graphiquement très aboutis. A noter également que je n’ai pas rencontré de situation où les représentations sur la carte devaient être interprétées pour savoir s’il y avait une LoS ou non. Des cartes épurées donc, mais au service de l’efficacité.
Autre point, j’ai été surpris qu’un leader puisse rallier n’importe quelle troupe ! Typiquement, il est facile d’imaginer que le leader qui rentre avec les Fallschirmjägers soit un sous-officier parachutiste (ce que j’ai d’ailleurs mis en scène dans mon récit), et donc de fait commande les paras. Il a pu pourtant apporter son bonus de leadership aux troupes de 1ère et de 2ème ligne. Pour comprendre ce point, il faut garder à l’esprit que si les pions "leaders" représentent certes un individu sur le champ de bataille, ils sont aussi le reflet plus global de la compétence de l’encadrement de l’armée prenant part au scénario. Ils sont donc tout à la fois des personnages et une notion plus abstraite ; et ils sont surtout les rouages essentiels de vos forces !
Enfin, et c’est sans doute le point qui fera le plus débat ; même si le rendu m’a convaincu,
ASL reste avant tout un jeu. Et bien qu’il ne s’agisse pas d’un pur "ton tour / mon tour", la séquence de jeu autorise quelques tricks, comme le "skulking" que j’ai utilisé durant le scénario. Je ne vais pas refaire le débat ; il y a les pours, les contres, et cela dure depuis plus de 35 ans. Je n’ai pas la prétention de réunir les deux camps ! Avant de jouer, j’étais plutôt un partisan du "contre". Aujourd’hui, je suis plus réservé ! Je n’aime pas trop l’effet rendu physiquement sur le plateau de jeu même si je peux y trouver une logique narrative, mais en revanche j’y trouve un équilibre mécanique ; en reculant ses troupes, certes on s’évite les tirs défensifs de l’adversaire, mais on se prive aussi d’une phase de tir à plein potentiel ! Choisir, c’est renoncer, et du point de vue ludique, cela fonctionne en offrant aux joueurs toujours plus de décisions à prendre...
Il me reste une dernière chose à aborder, et non des moindres (mais je vais faire court, promis !). Est-ce que
ASL SK est difficile ? En gardant à l’esprit qu’il ne s’agit ici que du premier module, je vais être honnête ; non ! La séquence de jeu s’acquiert rapidement, il n’y a pas d’opérations mathématiques compliquées (les modificateurs de tir sont franchement rapides à calculer), et les déplacements sont dans la même logique que les autres wargames tactiques. Si vous avez déjà joué à un "tactical", faire du
combat d’infanterie à ASL SK ne vous posera pas de problème !
En revanche, ce qui est vrai, c’est que le système, même en SK, est "dense". Chaque mécanique est bien pensée et obéit à une logique facile à comprendre, mais il y en a beaucoup à retenir ! Typiquement la Phase de Déroute ; c’est extrêmement logique qu’un squad déjà "brisé" menacé par un ennemi en mesure de l’attaquer (à distance ou au contact) voit son moral chuter et doive dérouter. C’est humainement compréhensible et on visualise facilement ce que cela représente. Pourtant, c’est expliqué dans un "gros" pavé un peu indigeste qui pourrait être aisément synthétisé par l’emploi de quelques points et de renvois à la ligne. A vouloir tout mettre en phrases, et parfois des phrases à rallonge avec de nombreuses coordinations, on peut passer à côté d’une ou deux exceptions importantes.
Un défaut de présentation donc qui peut faire apparaître les règles comme bien plus difficiles qu’elles ne le sont réellement (je précise que c’est sans doute propre au SK qui a la lourde tâche de compiler l’essence même du grand frère en un minimum de pages).
Voilà qui conclue ce
premier contact à Vierville, et mon premier contact avec
ASL. Je vous remercie tous pour votre intérêt et vos nombreux retours positifs. C’était un peu de boulot mais j’ai pris tant du plaisir à jouer qu’à (d)écrire cette partie.
Et qui sait, peut-être y aura-t-il une suite ? Après tout, il y a encore plein de choses que nous n’avons pas vu !
Bon jeu à tous.