Le jour des héros.
"Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite".En cette fin de mois de mai, les frustrations sont nombreuses dans chaque camp.
L'état-major allemand se plaint à tous niveaux de la lenteur de l'avance : les gains territoriaux sont faibles et la résistance des français laisse peu d'espoir de pouvoir s'emparer d'Inor dans les prochains jours.
A Martincourt, les officiers généraux français se lamentent quant à eux des pertes humaines élevées et de l'incapacité à résister contre un ennemi supérieur en nombre. Dans les bois d'Inor, même la ligne de défense établie par la 6ème DINA n'a pas été à même de faire face aux assauts allemands : des 6 points d'appui tenus par le 11ème REI et le 36ème RI (d'Ouest en Est : Anne-Marie, Béatrice, Claudine, Dominique, Eliane et Gabrielle), le premier est tombé le 20 face à une attaque de soldats du génie allemand. Le même type d'assaut est donc à prévoir sur les autres points retranchés et l'inquiétude des officiers trouve écho auprès des hommes sur le terrain.
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Bois d'Inor, 100m au SE d'Anne-Marie, le 23 mai 1940, 10h43.
Le sergent Colin pose un genou à terre au milieu de ses hommes. L'inquiétude se lit sur beaucoup des visages familiers qui l'entoure.
Le bombardement que vient de déclencher l'artillerie française sur le point retranché d'Anne-Marie marque le début de l'attaque planifiée pour le reprendre.
Sur sa gauche, Colin se sait appuyé par une petite trentaine de solides gaillards, les corps-francs de Leroy.
Deux sections du REI participent à l'assaut : celle de Lioubovski et la sienne. Au total, une centaine d'hommes aguerris au combat.
Plus au sud, le 36ème a rassemblé plus de 150 hommes pour prendre les allemands en tenaille.
Furtivement, les soldats français s'avancent en ligne dans les bois sombres. L'intensité du bombardement décroit peu à peu pour finalement s'éteindre lorsque les avant-gardes atteignent les tranchées d'Anne-Marie. Colin pousse ses éclaireurs vers les positions ennemies pour dévoiler leurs forces et pouvoir indiquer aux sapeurs de la Légion les points faibles de la défense. Les charges explosives qu'ils ont apportées devraient sérieusement les secouer et permettre d'atteindre rapidement les objectifs.
Les hommes du 36ème sont arrivés en premier au contact. Le feu d'enfer des armes individuelles qui vient de se déclencher marque le début des combats.
Le sergent Colin voient soudain les arbres s'embraser de nombreux coups de départ à quelques dizaines de mètres devant lui. Presque aussitôt, le reflux précipité des éclaireurs lui indique que l'affaire est mal engagée et que la résistance est plus forte que prévue, comme si les allemands étaient eux mêmes en passe de monter une attaque. En tout cas, le bombardement ne semble pas avoir désorganisé leur défense.
Des hurlements éclatent : un corps-à-corps furieux vient de s'engager avec le groupe de droite. Le premier d'une longue série.
Colin ordonne à ses hommes de glisser sur la gauche afin de prendre à revers les boches assaillis par le 36ème. L'attaque progresse et la section de Colin est en passe d'atteindre la lisière du bois. Celle de Lioubovski relance l'attaque sur Anne-Marie mais elle est rapidement repoussée dans le sang.
Les allemands résistent comme des diables, dos au versant nu des hauteurs d'Inor. Plusieurs groupes ennemis contre-attaquent et repoussent les fantassins français.
Les derniers 40 mètres semblent toutefois infranchissables : les allemands s'agglutinent derrière les arbres, subissant de lourdes pertes mais résistant farouchement.
Les combats rapprochés se multiplient et la furie s'empare des hommes des deux camps. On tranche, on perce, on mord, on meurt... Colin est effaré par la violence des combats. Les hommes ne cessent de courir vers l'arrière pour y être ralliés in extremis par Sanchez et lui-même et repartir au casse-pipe.
Le 36ème ne démérite pas, mais partout les réserves s'amenuisent et les chefs d'unités sont bientôt contraints de rassembler les survivants pour former une ligne homogène. Quelques coups de feu sont encore échangés et un sous-officier allemand est vu en train de s'effondrer les mains portées sur son abdomen alors que ses hommes l'apostrophent : "
Münster ! Nein !..."
Une plus grave nouvelle parvient alors aux oreilles du sergent Colin : une estafette a atteint essoufflée les arrières de Lioubovski en l'informant d'une violente attaque sur Eliane et Gabrielle, ce que craignait l'état-major. Aussitôt, Lioubovski a cédé le commandement à Colin et rassemblé une poignée d'hommes pour tenter de secourir les points d'appui attaqués.
Au même moment, on apprend que l'adjudant Leroy, qui commandait les gars du corps- franc, a été tué dans un corps-à-corps sanglant.
C'est à cet instant de flottement dans la ligne des légionnaires que les allemands décident de contre-attaquer. Entre Anne-Marie et Béatrice, plusieurs dizaines de boches se lancent à l'assaut. Les soldats français qui ne peuvent pas s'enfuir sont pris en combat rapproché. Les grenades explosent à intervalles serrés et les cris des combattants sauvagement entremêlés supplantent les échanges de coups de feu.
Face à la menace d'être encerclés, les défenseurs de Béatrice réagissent immédiatement. A sa tête, l'adjudant-chef Vitry, un ancien de la guerre d'Espagne : il surgit comme un diable des tranchées avec une vingtaine d'hommes rassemblés à hâte. Aux cris de "
No Pasaran ! A moi la Légion !", le juteux et ses hommes se ruent sur les assaillants. Les balafres qui défigurent le visage de l'adjudant-chef, stigmates indélébiles de sa participation héroïque à la bataille de Teruel en janvier 38, se teintent de rouge sang lorsqu'il se jette au milieu d'un paquet compacte de Grenadieren. Une partie de ses hommes ne l'a pas suivi malgré ses imprécations et menaces hautement imagées mais un second groupe a répondu à ses cris de ralliement : "
morte couille, sortez-vous les doigts du cul et suivez-moi en enfer !". Malgré une nette infériorité numérique, ils parviennent à stopper puis à annihiler une vingtaine de soldats allemands, Vitry jouant de sa pelle de tranchée comme un enfant le ferait avec un hochet, entaillant la chair et fracassant les crânes en riant comme un dément et insultant l'ennemi dans la langue de Cervantes. En entendant les bruits du combat, Colin envoie une dizaine de légionnaires, eux-mêmes sortant tout juste d'un combat victorieux, aider ses frères d'armes.
Faute de combattants, le silence tombe soudain sur les bois ensanglantés. Vitry et Colin rassemblent les survivants et se replient à l'abri des arbres. Les blessés sont trainés vers l'arrière.
Chaque camp meurtri panse ses plaies béantes : les soldats errent entre les arbres à la recherche de leurs camarades incapables de rejoindre leurs arrières, sans que l'adversaire ne déchaine de nouveaux tirs, comme d'un commun accord.
Par la route de Malandry, les survivants d'Eliane et de Gabrielle rapportent la perte des deux points d'appui. Assaillis par une compagnie entière de Grenadieren et un groupe de Pionieren, ils ont dû abandonner les positions fortifiées après de furieux combats rapprochés. Sans réserves suffisantes, la situation est devenue intenable et la majeure partie du matériel de soutien a dû être laissée dans les tranchées aux mains des boches.
L'aile droite de la défense a cédé. Anne-Marie n'a pas pu être reprise. La situation est devenue critique pour le REI.
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Route de Martincourt, à l'entrée sud d'Inor, 23 mai 1940, 10h34.
Une section de Hotchkiss 39 remonte la route de Martincourt en direction du village d'Inor. A sa tête, le sous-lieutenant Naud, le buste sorti de l'étroite tourelle de son char, un foulard de soie jaune crânement noué autour de son cou flotte au vent printanier. Il ressasse dans sa tête la mission qui lui a été confiée et dont il a assuré au commandant de compagnie, le capitaine Richard, qu'elle serait victorieusement accomplie : appuyer l'assaut d'infanterie sur le cimetière d'Inor, s'emparer du pont sur le ruisseau du fond de la Noue et bousculer les forces ennemies au Nord du village.
D'un coup d'oeil en arrière, Naud s'assure que les deux autres chars maintiennent l'allure. Comme à la parade. Avec une pointe de mélancolie, Naud se remémore les cours de l'école de Saumur : pêle-mêle, les thèses et écrits de Doumenc, Pigeaud ou Héring lui reviennent en tête, de même que les révolutionnaires idées de Lançon ou de De Gaulle. Il se rappelle que son intérêt poussé pour les théories embryonnaires défendues outre-Rhin qui lui valurent le surnom affectueux de Herr Doktor.
Le brillant sous-officier est aujourd'hui en passe de mettre en application ces enseignements et accomplir le devoir pour lequel il s'est engagé en 1935.
Naud lève les yeux vers le ciel est clair, seulement entâché par deux minuscules points noirs au loin : certainement des corbeaux attirés par les rumeurs des combats naissants.
Les chars s'engagent dans la rue principale d'Inor alors que des obus commencent à tomber au nord du village. Allemands ou français, peu importe. D'un signe de la main, le sous-lieutenant fait bifurquer les blindés sur la route de l'écluse : à la hauteur de l'église, deux chenillettes chargées de fantassins débouchent sur la gauche des chars. La colonne quitte le goudron pour s'engager vers le nord et contourner le château d'Inor.
Avant de quitter la route, le sous-lieutenant aperçoit un homme qui lui fait un signe amical depuis le pont d'une des péniches amarrées sur la rive Est de la Meuse. Il lui répond machinalement en esquissant un sourire.
Le caporal Boudrenghien a choisit cet emplacement pour guider les tirs de l'artillerie régimentaire qui va appuyer l'assaut combiné. Il appartient au 136ème régiment de forteresse dont les bataillons d'infanterie ont été retirés du front quelques jours auparavant mais dont les pièces d'artillerie continuent de soutenir la défense d'Inor. Quelques minutes avant le passage des Hotchkiss, le caporal a transmis les coordonnées du cimetière pour que les canons de 75 pilonnent les tranchées occupées par les boches. La première salve est tombée au moment même où les allemands quittaient leur abri pour relancer l'assaut sur le village. Bien mal leur en a pris.
Naud lève la main une nouvelle fois et l'abat devant lui, pointant vers le cimetière : "
en avant" !. Le buste du sous-lieut est soudain violemment poussée par une main invisible sur la gauche de la tourelle. Affalé sur le métal froid, il réalise en une seconde que son char a été touché pour un projectile ennemi. La chenille de droite s'étale inerte sur le sol à l'arrière du véhicule qui poursuit sa course en crabe pendant quelques mètres avant de tomber inerte dans la verte. Sous les yeux abasourdis des deux hommes d'équipage, le sous-lieutenant laisse éclater sa stupeur mêlée de colère : "
nom de D... de bordel de m erde ! Ils nous ont eu ces salauds ! Ouvrez le feu !" Le canon de 37 démodé se met à cracher sur le mur du cimetière d'où semblent provenir les tirs. Un canon anti-chars de 37mm !
Les deux autres chars dépassent celui du chef de peloton qui leur enjoint hystériquement de poursuivre l'assaut, suivis par les deux fragiles chenillettes. Les allemands s'acharnent sur le véhicule de Naud, laissant ainsi les autres véhicules blindés dépasser le château puis rejoindre la route principale. Les véhicules empruntent à nouveau la route principale vers la sortie du village. Ils devancent de quelques mètres les fantassins qui chargent les allemands défendant le cimetière.
Dans l'enfilade de la D964, camouflé derrière le talus et les platanes, un autre canon de 37 anti-chars a pris pour cible le Hotchkiss de tête : à une cadence infernale, il enchaine les tirs sur le char qui finit par s'immobilier sur la chaussée, chenille sectionnée. L'équipage français reste à bord et riposte comme il le peut.
Les autres véhicules dépassent l'animal blessé lorsque soudain, le visage du sous-lieutenant Naud se met à pâlir comme de la chaux. La silhouette des corbeaux qu'il avait aperçus au loin sur la route de Martincourt grossie à vue d'oeil pour se transformer en oiseau de proie : des Stukas ! Les deux avions allemands ne tardent pas à apercevoir les véhicules français qui remontent la départementale. Le premier d'entre eux amorce son piqué en déclenchant son affreuse sirène de mort. Derrière le char de Naud, les pom-pom des canons de 20mm anti-aérien crachent frénétiquement leurs obus. Le Stuka se cabre et reprend son vol en direction de l'Est, laissant derrière lui une bombe de 150kg filer vers le Hotchkiss de tête. Le second bombardier se lance à son tour vers le sol : cette fois-ci, un des canons anti-aérien parvient à le prendre dans son viseur. Les projectiles touchent distinctement l'avion mais ricochent sur son blindage. Des étincelles apparaissent clairement à plusieurs reprises sur le fuselage. C'en est trop pour le pilote qui n'a pas eu le temps de déclencher sa sirène et s'applique à effectuer en urgence une manoeuvre évasive pour échapper aux tirs mortels. Il disparait précipitamment vers l'horizon, abandonnant sa chasse.
Pendant ce temps, le sergent Tinture continue de diriger l'attaque d'infanterie sur le cimetière. Le pilonnage de l'artillerie allemande a bien empêcher une section de contourner la défense allemande par la droite de la route principale à travers champs, laissant les chars avancer sans protection sur ce flanc, mais ses hommes sont parvenus à stopper net puis repousser les boches qui avaient débouché du petit bois au sud du cimetière.
C'était à leur tour de mener l'assaut.
Le sergent exhorte ses hommes à fondre sur la défense allemande. Une section, puis deux, puis une troisième se lance dans la bataille sous le couvert de l'artillerie efficacement guidée par le caporal Boudrenghien (ses tirs permettront de mettre hors d'état de nuire le canon anti-chars de 37 qui s'obstinait à vouloir détruite le char du sous-lieutenant Naud). Les hommes atteignent les tranchées où de nombreux grenadiers allemands ont trouvé refuge après l'échec de leur attaque initiale. Certains sont faits prisonniers mais d'autres résistent. Sous le feu de mortiers de 81 et d'un canon de 150mm, les soldats français se lancent en combat rapproché. Les pertes montent mais les allemands sont littéralement bousculés. Ils s'enfuient en pagaille vers le nord, passant le mur du cimetière pour se retrouver piégés par les tirs de notre artillerie.
Le premier a reprendre pied dans le cimetière est le caporal-chef Bonhomme. Ce sous-officier aguerri au regard d'aigle enjambe prestement le mur Ouest et retombe lourdement parmi les tombes. Une douleur fulgurante lui transperce la hanche. Pas le temps de se plaindre. Malgré la douleur aigüe ressentie à la suite de cette mauvaise chute, il se glisse vers le mur nord, bientôt rejoint par un groupe de fantassins enhardis par l'audace du caporal-chef. Un autre groupe surgit à l'entrée du cimetière. Les soldats français sont aussitôt accueillis par une volée d'obus de 81, les forçant à prendre couvert derrière le parapet du muret. Un pélot de 150mm tombe alors à moins de 20m de Bonhomme, le projetant tel un pantin désarticulé contre le monument aux morts de la 1ère guerre érigé au milieu des sépultures. Complètement abasourdi, les tympans crevés, il n'entend même pas les Stukas qui piquent sur le cimetière et mettent en déroute les soldats français au seul son de leur maudite sirène. Il reprend le chemin des tranchées en titubant. Les yeux injectés de sang, il jette un regard par dessus son épaule pour apercevoir avec satisfaction les allemands décamper vers le ruisseau, poursuivis de près par les chenillettes et un char Hotchkiss entourés de fantassins vociférants.
Une chenillette traverse même en trombe le pont sur la Noue, remonte la D964 pendant quelques dizaines de mètres avant de rebrousser chemin, privée de plus de support.
Une nouvelle fois, le cimetière est repris.
Frustré de ne pas avoir pris par au combat, le sous-lieutenant Naud se réconforte en se disant que de retour au cantonnement, il pourra mettre la dernière main à son mémoire sur "
l'emploi optimisé des forces mécanisées sur un éventuel théâtre d'opérations malgache". Il en profitera pour glisser à son commandement une note relative au renforcement des protections des chenilles et trains de roulement des chars H39. Et puis il finira de relire Clausewitz, ça ne mange pas de pain, et puis de toute façon il ne va jamais au mess.