"
Mon capitaine, les hommes sont prêts à lancer l'assaut sur le château !"
L'estafette venait de s'engouffrer dans la maison située au carrefour central d'Inor, là où Lagarde avait positionné deux mitrailleuses pour arroser les défenseurs du château. Les tirs avaient commencé à crépiter quelques minutes auparavant et la façade de la bâtisse faisait déjà apparaitre les stigmates du mitraillage intense. Le capitaine se retourna brusquement pour apercevoir le soldat qui avait fait irruption dans la pièce et lui hurla de se planquer. A peine avait-il relevé son buste qu'une balle traversa l'embrasure de la fenêtre et perfora son crâne qui éclaboussa de la cervelle de leur chef les servants d'une mitrailleuse lourde.
Lagarde, le vétéran de la guerre du Rif, venait de se faire descendre par un sniper allemand.
Après un léger flottement, l'assaut prit cependant forme à droite, vers le château, puis à gauche du dispositif, vers l'église.
Les allemands se retranchaient désormais dans un périmètre très réduit, mais leur puissance de feu était redoutable. Les reconnaissances avaient permis d'identifier 2 mitrailleuses lourdes et 2 Spandau. La soixantaine de défenseurs entendaient bien se défendre bec et ongles.
Le combat pour Inor dura de longues minutes. Le soleil avait fait évaporer les brumes matinales lorsque les derniers soldats allemands se rendirent.
Un sanglant corps-à-corps dans une masure au sud de la rue du canal avait tenu les deux camps en haleine pendant ce qui semblait avoir été une éternité. Les soldats du 136ème, en supériorité numérique, avaient finalement emporté la décision, bouclant l'encerclement des motocyclistes dans l'église et les bâtiments adjacents.
Le château avait lui aussi fait l'objet d'âpres combats au corps-à-corps mais les français avaient été les plus hardis.
Inor était enfin à nouveau entre nos mains.
La mort du capitaine Lagarde affecta les hommes au-delà de sa seule compagnie mais son allant avait guidé nos soldats vers une formidable victoire.
*****
Le lieutenant Chopart scruta ses hommes autour de lui. Aussi loin que les arbres lui permettait de voir, il apercevait ses hommes embusqués en retrait de la lisière du bois de Soiry.
Profitant du vent contraire, un caporal métropolitain fumait une cigarette assis derrière un arbre en cachant la lueur de son mégot avec ses mains.
Un peu plus loin, l'incorrigible Abdelkader finissait de ranger sa théière et de piétiner le feu quasi invisible qui lui avait permis de préparer un énième breuvage dont les effluves parfumées parvenaient à peine au nez du lieutenant.
Trois soldats avaient étalé leurs tapis à quelques mètres de lui dans un repli de terrain et psalmodiaient avec ferveur une prière à Allah.
Le chef de bataillon avait décidé hier soir très tard de décaler l'attaque sur le bois de la Hache au petit matin afin de profiter des derniers instants de pénombre pour permettre aux hommes de Chopart de traverser le glacis qui s'ouvrait devant eux. Le lieutenant avait approuvé cette initiative. Il était avare de ses hommes. D'un coup d'oeil sur sa droite il croisa le regard déterminé de Mohamed Aziz et esquissa un sourire ; c'est lui qui, la veille, avait arrêté une section d'assaut allemande avec son groupe. De sa jeunesse passée à garder les chèvres de père à Douar Aïn Torki, il avait acquis sa vue perçante et son ouïe développée. Mohamed Aziz était un élément précieux au sein de la compagnie, et un fidèle compagnon d'armes.
L'observateur d'artillerie avait reçu l'ordre de prendre à partie la tranchée allemande que l'on pouvait à peine deviner de l'autre côté des champs : un redoutable nid de mitrailleuses qu'il fallait maitriser pour pouvoir prendre pied dans le bois de la Hache.
Un chuintement dans l'air. Un obus s'écrase dans les champs de Soiry, en contrebas de la ferme. Trop à gauche.
Chopart lève le bras, puis l'abat devant lui, donnant l'ordre d'avancer à sa compagnie. Comme un seul homme, les tirailleurs algériens s'engagent lentement dans le no man's land. L'artillerie tardant à prendre à partie les boches, les premières fusantes zèbrent l'air et traversent les pelotons de gauche. Quelques hommes se jettent à terre. Un groupe reflue en courant.
Les obus se rapprochent. Enfin. Une pluie de métal s'abat sur la tranchée. Chopart ordonne un feu à volonté avant de crier "
Ilaa Al'amam !"
L'observateur d'artillerie fait suspendre le tir. Après une course effrénée, les algériens atteignent en hurlant la tranchée allemande. Les hommes se jettent au fond de la saignée abandonnée par ses défenseurs. Quelques cadavres indiquent que les tirs ont été efficaces. Des soldats de la 2ème section se précipitent derrière les deux mitrailleuses laissées par l'ennemi tandis que le reste de la troupe s'élance dans le boyau.
La 1ère section, menée par Chopart, s'empalent quant à elle sur les Kar 98 de deux groupes de boches. La moitié des hommes sont mis en déroute mais le reste entre en corps-à-corps avec les allemands. Un combat féroce se développe parmi les arbres mais les allemands s'enfuient rapidement (DR12).
La 3ème section a pris un autre chemin : profitant du dénivelé, elle s'est engagée sur la droite pour longer une haie qui l'amène directement sur le flanc gauche de l'ennemi. Une balle bien placée par le tireur d'élite de la section permet de semer la panique parmi le groupe ennemi qui s'enfuit dans le bois. Le sergent presse ses hommes vers la position abandonnée et s'empare d'une mitrailleuse. L'audacieux mouvement est toutefois stoppé par un prompt renfort ennemi.
Le lieutenant Cochart est toutefois soucieux.
La première ligne ennemie est prise, mais de lointains coups de feu lui parviennent aux oreilles dans le vacarme des combats environnants.
Un soldat arrive en courant de la ferme Soiry. Haletant et suant, il se plante devant Cochart malgré la grêle de balles qui s'abat autour d'eux. Ses yeux sont emplis de panique.
"
Les boches déboulent en masse du champs des chaussées ! Un bataillon entier !"
Les hommes entourant Cochart peuvent lire la stupeur dans son regard.
Quelques secondes s'écoulent, interminables. Le visage du lieutenant se crispe soudain. Son regard reprend la determination que ses hommes ont vu si souvent.
"
On se replie..."
La mort dans l'âme, les hommes de Cochart arrache les mitrailleuses de prise a leurs affuts et reprennent sans tarder le chemin inverse. Les sacrifices ont été inutiles et le bois de la Hache ne sera pas repris aujourd'hui malgré la vaillance de nos hommes.
*****
Münster n'avait pas fermé l'oeil de la nuit. Sa couardise de la veille face aux africains n'avait échappé à personne, et en tout, pas à ses hommes qui avaient couvert sa fuite.
Il avait accueilli avec soulagement les ordres de l'état-major : l'effort de l'attaque allait être renouvelé dans son secteur et cela allait lui permettre de se racheter se disait-il.
Les mâchoires crispées, il avait rassemblé ses hommes avant toutes les autres unités et avait été le premier à rejoindre ses positions de départ. Maintenant qu'il connaissait le terrain, il avait demandé à pouvoir faire sauter le verrou qui lui avait fermé la porte la veille. Il savourait par avance sa vengeance.
Deux compagnies entières lui emboiteraient le pas des qu'il aurait accompli sa mission.
L'artillerie se mit a tonner. Les obus labouraient la terre et lacéraient les arbres du bois de Soiry.
Il s'élança à la tête de sa section d'assaut.
L'action fut rapide, brutale, et décisive. Les algériens furent totalement surpris cette fois ci. L'entrainement et l'expérience de Münster ne laissèrent aucune chance aux français.
La débandade gagna rapidement l'ensemble de la ligne. Partout les soldats allemands bousculèrent les défenseurs. La maison forestière fut la seule à résister plus longtemps mais fut finalement submergée par le nombre. Les français reculaient plus vite que les allemands n'avançaient dans les bois serrés et obscurs. Les tirs s'espacèrent puis se turent, faute de combattants.
La victoire était totale.
Münster resta en pointe de l'attaque et fut le premier à atteindre la clairière a l'arrière de la ferme de Soiry. Il jubilait.