15 septembre 1942, 23h54...
La nuit drappe de sa sombre étoffe les ruines constamment fumeuses de Stalingrad. Encore à peine une minute, et notre artillerie déclenchera un feu d'enfer sur les toutes proches positions allemandes. Déjà, les premiers sapeurs de la 13ème division de la garde atteignent nos positions. Le camarade Chuikov a tenu ses promesses : ces soldats d'élite, le visage grave, avancent en silence au milieu des gravats. Le sous-officier qui les accompagne vient prendre ses consignes : je lui indique les positions allemandes que mes fantassins ont pu reconnaitre à la tombée de la nuit.
Les nazis ont commencé à renforcer les positions conquises pendant la journée : quelques mitrailleuses lourdes ont été mises en batterie de l'autre côté de la Volgogradskaya. Les allemands sont en alerte, et seuls quelques immeubles ont pu être approchés par mes frontoviki : les reconnaissances n'ont donc pas donné les résultats escomptés. Toutefois, il est clair que les allemands se sont barricadés aux abords même de la ligne de front. J'ignore cependant la profondeur de leurs lignes...
J'ai transmis mes consignes aux soldats qui défendent la gare centrale et les quartiers sud : éviter tout contact avec l'ennemi. L'effort principal sera dirigé vers le nord. L'état-major général m'a indiqué que les unités placées à la droite de mon dispositif effectueront une manoeuvre offensive similaire afin de repousser les allemands vers l'Ouest.
J'ai également ordonné à une section de se porter en avant de nos lignes au nord de la gare, au-delà des voies de chemin de fer : leur mission est de menacer les arrières des allemands. Les soldats me rapportent qu'un char a été aperçu dans la rue. Je leur fais porter un lance-flammes de prise. Cela devrait régler ce problème.
23h55. L'horizon s'illumine à l'Est, de l'autre côté de la Volga. Un grondement sourd se fait rapidement entendre. Les sifflements des obus se succèdent, suivis de très près par de terribles explosions. Du 120mm s'abat sur le quartier de l'autre côté de la Volgogradskaya. L'obscurité grandissante (NVR 2) gêne cependant le repérage pourtant prévu à l'avance : l'observateur d'artillerie qui avait précédé l'arrivée des renforts de la 13ème, parvient malgré tout à corriger le tir. Si les premiers obus tombent à l'arrière de la ligne allemande sans faire de dégâts apparents, les suivants s'abattent directement sur les immeubles en ruines. Bien vite, à la lumière des explosions, j'aperçois des silhouettes qui jaillissent des ruines. Les cris des blessés parviennent à nos oreilles malgré le vacarme. Les allemands semblent durement secoués. Un char positionné dans la rue est touché par un obus : tombé à proximité, il a littéralement arraché une chenille du StuG : l'équipage s'extrait en hâte et parvient à se glisser à l'abri.
Soudain, le barrage d'artillerie se déplace vers l'Ouest, traverse la Communistichskaya et tombent sur de nouvelles positions allemandes, où un nid de mitrailleuses lourdes avait été repéré. En même temps, les sapeurs s'élancent dans la Volgogradskaya : ils ne trouvent aucune opposition sur leur passage. Quelques soldats ennemis hagards sont passés au fil de la baionnette alors qu'une masse désordonnée s'enfuit vers le nord. Le lance-flammes de la section est mis en action, mais il semblerait que dans la précipitation avec laquelle la 13ème division a traversé la Volga, certains équipements aient été négligés : une courte flamme s'échappe de la gueule de l'engin, puis plus rien...
Une compagnie de fusilliers de la garde talonnent les sapeurs. Les étages des maisons nouvellement reconquises sont rapidement nettoyés. La progression est cependant très lente dans cette obscurité. La pointe de l'attaque atteint la Communistichskaya. Quelques irréductibles résistent encore mais sont annihilés en un furieux corps-à-corps. Un autre StuG bloque la rue : les mitrailleuses lourdes qui prennent l'artère en enfilade prennent le char à partie à la faveur d'une fusée éclairante lancée des lignes allemandes. L'équipage a laissé les trappes du monstre d'acier ouvertes : les balles s'engouffrent dans le char, ricochant sur les parois. L'équipage s'enfuit en toute hâte vers l'Ouest. Mes troupes sont désormais maître du terrain. Les allemands ne semblent pas disposer de suffisament de troupes pour donner de la profondeur à leur dispositif de défense. Les immeubles au nord sont repris sans coup férir, et les voies de chemin de fer sont inspectés à leur tour.
De l'autre côté de la Communistichskaya, malgré une farouche résistance des allemands, l'artillerie et les tirs concentrés d'un nid de mitrailleuses lourdes viennent à bout des défenseurs. Mes fusilliers s'avancent sur la place de la gare, atteignent le mur d'enceinte du quartier convoités, s'infiltrent dans les rez-de-chaussée, et entreprennent de chasser les derniers survivants à la grenade. Une poignée de landsers parvient malgré tout à s'échapper à la faveur de la nuit, mais les positions sont désormais entre nos mains.
Plus à l'Ouest, au-delà des voies de chemins de fer, une section de fusilliers parvient à approcher le StuG posté dans la rue. Quelques tirs imprécis ne parviennent pas à effrayer mes valeureux soldats qui déclenchent alors l'enfer contre le véhicule blindé isolé, au moyen d'un lance-flammes de prise : il prend rapidement feu, ne laissant aucune chance à son équipage. Mes soldats hésitent cependant. L'absence d'infanterie dans le secteur serait-elle un piège ? Bien vite, leur avance prudente se heurte à un nid de résistance. Profitant de l'élan, les soldats se lancent au corps-à-corps. D'abord indécis, il tourne bientôt en leur faveur, grâce à un prompt renfort. Aucune autre opposition dans le secteur. Les soldats se dispersent alors et ratissent les voies ferrées du nord vers le sud, pour finalement faire leur jonction avec les camarades de la 13ème division au milieu des rails.
Dans l'intervalle, les landsers sont restés prostrés au sud de la gare. Aucun sous-officier n'a réussi à activer les troupes. Aucune fusée éclairante n'est venue perturber le calme relatif des positions. Il faut dire que mes troupes ont fait preuve d'une remarquable discrétion, ne donnant à aucun moment l'occasion aux allemands de faire un carton.
L'opération est un succès total. Nous n'avons que quelques pertes, alors que les allemands ont perdu près d'une compagnie de landsers et une sectio de StuG sous le déluge de feu de notre artillerie et les tirs concentrés de nos mitrailleuses. Rapidement mis en déroute, les nazis ont été constamment pourchassés par les camarades de la 13ème division de la garde qui ne se sont jamais encombrés de faire des prisonniers. Nombre de blessés ont été achevés sur place, et les snipers s'en sont donné à coeur joie, se mêlant directement aux unités de tête. Les tirs précis de l'artillerie ont également prélevés un lourd tribut parmi les défenseurs. Par ailleurs, on comptera de nombreux officiers (4) parmi les victimes : certainement un coup dur pour les allemands.
Les soldats sont partis au combat le ventre vide. Je fais rapidement acheminer le ravitaillement vers les premières lignes, en même temps que des caisses de munitions et de grenades.
Le camarade Chuikov ne m'a pas téléphoné. Non. Le camarade Chuikov est venu à mon PC. Son visage d'ordinaire sévère était illuminé d'un large sourire. Aucune anxiété ne venait marqué ses traits. Il avait une bouteille dans une main, une bouteille déjà entamée. Après m'avoir serré dans ses bras puissants et congratulé de sa voix forte, nous avons partagé le reste d'un délicieux whisky américain, breuvage que seuls les officiers généraux ont le privilège de détenir en cet endroit du front.
Le reste de la nuit s'est écoulé calmement, seulement ponctuée par quelques coups de feu sporadiques. L'allemand est saigné à blanc, je le sais.
Gageons que demain sera une journée sans combats. Mes troupes ont besoin de repos, et je dois organiser la défense des lignes nouvellement reconquises.
Malgré l'indéniable succès de cette nuit, le moral n'est pas au rendez-vous parmi les frontoviki : trop de combats, trop de fatigue, trop de privations (ELR 2...).